Goiter de Josh Pettinger

Goiter de Josh Pettinger

Catégorie(s) : Bande dessinée => Divers

Critiqué par Blue Boy, le 4 mai 2024 (Saint-Denis, Inscrit le 28 janvier 2008, - ans)
La note : 8 étoiles
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L’étrange beauté du comique triste

Cet ouvrage est un recueil rassemblant les numéros 2 à 8 de « Goiter », publiés par Josh Pettinger en autoédition depuis 2014. Ces fascicules comprennent une nouvelle et deux ou trois histoires courtes, et on peut remercier l’éditeur Ici Même d’avoir déniché pour le public francophone cet auteur original, nouveau venu dans le neuvième art, qui aime à gratter le vernis de nos sociétés modernes un peu trop lisses.

Ces histoires, parfois difficilement racontables, mettent en scène des personnages à côté de leurs pompes, à qui il arrive des aventures improbables. Des situations banales sous le prisme délicieusement poétique de Josh Pettinger. On y croise successivement « un catcheur en fin de course aux mœurs contestables, un employé/esclave d’Amazon rêvant de révolution, une jeune femme prise au piège d’une histoire d’amour interdimensionnelle, un ventriloque accusé d’un meurtre qu’il n’a pas commis, ou encore des femmes pompiers au caractère bien trempé ».

Dans l’univers de Josh Pettinger, auteur britannique vivant aux USA, les protagonistes très kafkaïens apparaissent comme écrasés par le poids de leur destin, résignés à accepter leur piètre condition, coincés dans un système aliénant avec peu d’échappatoires. La vie est souvent cruelle pour ces « losers » qui peinent à trouver leur place dans un monde pas fait pour eux, un monde qui souvent paraît trop absurde pour satisfaire leurs attentes et leurs désirs, si tant est qu’ils en aient. A quoi bon lutter, puisque la réalité narquoise viendra toujours leur rappeler leur inaptitude à s’épanouir ?

Alors, quand la situation semble si désespérée, que les codes sociétaux se font les ennemis de votre nature profonde et que toutes les techniques éprouvées de développement personnel n’y peuvent rien changer, l’humour s’impose comme le dernier recours. L’auteur n’en manque pas, même si avec lui on n’est pas toujours sûr du moment où on doit rire, car c’est un humour très noir — et souvent absurde comme il se doit. Mais certains passages ne manquent de piquant, et sont franchement cocasses, ou plutôt tragi-comiques. On pense notamment au pauvre William qui devient fumeur invétéré en acceptant de participer à une étude sur le sevrage tabagique. Mais le récit le plus édifiant — et le plus long aussi — est incontestablement « Victory Squad », qui raconte les déboires d’un employé d’un site de vente en ligne – on aura très vite reconnu Amazon même si la multinationale n’est jamais citée —, et décrit un univers concentrationnaire, terrifiant et pourtant si réel, où l’Homme est devenu le serviteur des machines.

Josh Pettinger a décidé de transcender les absurdités d’une société implacable par le biais de son art, et celle qu’il dépeint n’est rien d’autre que le miroir déformé, « goitreux » (passez-moi l’expression), de la nôtre, celle que l’on expérimente au quotidien, mais en plus soft car adoucie par sa poésie ! Il en résulte un objet quelque peu ovniesque où l’on n’accède pas si aisément. Cet univers un brin étrange, trop ordonné en apparence pour être honnête, ne révèle pas toutes ses clés au premier venu, et même quand on croit être rentré dans une des histoires qui composent ce recueil, il y a toujours un moment où Pettinger va faire un pas de côté pour mieux nous perdre. N’en va-t-il pas ainsi de notre monde qui, alors que, l’expérience et l’âge aidant, on croit en appréhender mieux les rouages, finit par nous échapper en bifurquant vers l’impensable, en dehors de toute rationalité et de toute logique ?

Peut-être pour compenser le propos pour le moins désenchanté, Josh Pettinger réussit à nous charmer avec son graphisme rafraichissant mêlant art naïf tendance comics underground et imagerie fifties, assorti à une mise en page en gaufrier et des couleurs à dominante pastel. Pettinger, c’est un peu comme si Charles Burns voire Daniel Clowes (en moins cérébral) avait fusionné avec Pierre La Police (en plus cérébral). On est parfois décontenancé, souvent amusé, et c’est tout ce qu’on aime.

« Goiter », c’est d’abord une belle découverte, qui a même reçu l’approbation de Crumb. Autant dire qu’il faudra suivre avec attention cet auteur prometteur, qui, nous apprend l’éditeur, travaille actuellement sur la série « Werewolf Jones & Sons », en collaboration avec Simon Hanselmann. Bien sûr, je pourrais difficilement y mettre un coup de cœur, car il pourrait désarçonner nombre de lecteurs (et par conséquent ma crédibilité serait passablement ébranlée, ha ha), en particulier ceux qui voient la vie comme un doux chemin tapi de roses parfumées… En revanche, les plus lucides (et donc les moins optimistes) seront sans doute ravis d’une telle lecture qui leur mettra du baume au cœur en les faisant, peut-être, se sentir moins seuls.

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